Les langues parlées en Érythrée : richesse et diversité linguistique
L’Érythrée, située dans la Corne de l’Afrique, est un pays remarquable non seulement pour son histoire et sa géographie, mais aussi pour sa diversité linguistique impressionnante. Ce petit État, indépendant depuis 1993, abrite pas moins de neuf langues nationales reconnues, témoignant de la pluralité ethnique et culturelle qui compose la nation.
Une mosaïque linguistique officielle et nationale
Contrairement à de nombreux pays africains, l’Érythrée n’a pas de langue officielle unique. Depuis l’indépendance, le gouvernement a adopté une politique d’égalité linguistique en reconnaissant neuf langues nationales comme égales devant la loi. Il s’agit notamment du tigrigna, du tigre, de l’arabe, du kunama, du bilen, du saho, du nara, de l’afar et du bedaouïné (ou hidareb).
Par ailleurs, deux langues jouent un rôle plus visible dans les sphères administratives et éducatives : le tigrigna et l’arabe. Le tigrigna est la langue la plus parlée, tandis que l’arabe est couramment utilisé dans les relations internationales, les médias et certaines institutions éducatives.
Le tigrigna : langue majoritaire et culturelle
Le tigrigna est la langue maternelle de près de 50 % de la population érythréenne, principalement dans les hautes terres du centre et du sud du pays, incluant la capitale Asmara. Cette langue appartient à la branche sémitique des langues afro-asiatiques, et partage des racines communes avec l’amharique (Éthiopie) et l’arabe.
Le tigrigna est largement utilisé dans les domaines de l’administration, des médias, de l’éducation primaire, et du commerce. Il possède un système d’écriture propre, le ge’ez, un alphabet d’origine éthiopienne. Il représente un pilier identitaire pour l’ethnie Tigrigna, l’un des groupes les plus influents en Érythrée.
Le tigre : deuxième langue afro-sémitique
Le tigre est parlé par environ 30 % de la population, notamment dans les régions côtières et occidentales. Il est proche du tigrigna, mais s’écrit généralement en alphabet arabe. Le tigre est associé à l’ethnie Tigre, dont beaucoup sont de confession musulmane.
Moins standardisée que le tigrigna, la langue tigre souffre d’un manque de développement dans les institutions publiques, bien que le gouvernement s’efforce de promouvoir l’égalité linguistique.
L’arabe : une langue d’influence historique et religieuse
L’arabe joue un rôle important en Érythrée, notamment dans les sphères religieuses (Islam), diplomatiques et éducatives. Bien qu’il ne soit pas une langue majoritairement parlée au quotidien, il bénéficie d’un statut de langue de travail et de culture.
De nombreuses écoles islamiques utilisent l’arabe comme langue d’enseignement, et la langue est aussi très présente dans les relations avec les pays du Moyen-Orient. L’arabe permet à l’Érythrée de s’intégrer dans le monde arabe via des instances comme la Ligue arabe.
Les autres langues nationales d’Érythrée
Outre les langues majoritaires, plusieurs langues sont parlées par des groupes ethniques spécifiques :
- Le saho, parlé dans la région du sud-est, par l’ethnie Saho, est une langue couchitique.
- Le bilen, parlé autour de Keren, possède des influences tigrigna et arabe.
- Le nara et le kunama sont des langues nilo-sahariennes parlées dans l’ouest.
- L’afar est une langue couchitique parlée dans le sud-est, également utilisée à Djibouti et en Éthiopie.
- Le hidareb (ou bedaouïné), langue afro-asiatique parlée par des populations nomades du nord-ouest, proche de l’arabe soudanais.
Chacune de ces langues est enseignée dans les écoles primaires locales selon la politique linguistique nationale. Cela permet aux enfants d’apprendre dans leur langue maternelle avant de passer à des langues plus largement utilisées.
L’anglais : langue d’enseignement secondaire
Bien que l’anglais ne soit pas une langue nationale en Érythrée, il est utilisé comme langue d’enseignement dans le secondaire et à l’université. Ce choix, hérité de la période d’administration britannique (1941–1952), s’explique par le désir d’intégration dans les réseaux académiques et économiques internationaux.
L’anglais est également utilisé dans certaines institutions gouvernementales et dans les communications avec les organisations internationales.
Politique linguistique en Érythrée : unité dans la diversité
La politique linguistique de l’Érythrée repose sur le principe de pluralisme équitable. L’État ne privilégie officiellement aucune langue au détriment d’une autre. Cette approche vise à préserver l’identité culturelle de chaque groupe tout en favorisant une certaine cohésion nationale.
Les manuels scolaires sont traduits dans plusieurs langues, les émissions radiophoniques et télévisées sont diffusées dans les langues principales, et des efforts sont faits pour documenter et promouvoir les langues minoritaires, parfois menacées.
Défis et perspectives
Malgré cette richesse linguistique, plusieurs défis demeurent :
- Le manque de ressources pédagogiques dans certaines langues locales.
- La difficulté de former des enseignants maîtrisant la langue maternelle des élèves.
- La tension entre promotion des langues locales et nécessité d’une langue commune pour l’unité nationale.
Néanmoins, l’Érythrée reste un exemple rare en Afrique de politique linguistique inclusive, malgré un contexte politique autoritaire. La reconnaissance de la diversité linguistique comme un atout plutôt qu’un obstacle est l’un des piliers culturels du pays.
Conclusion
Les langues parlées en Érythrée sont le reflet fidèle de sa diversité ethnique et culturelle. Entre le tigrigna, l’arabe, les langues nilotiques et couchitiques, et l’anglais utilisé dans l’enseignement, le pays illustre parfaitement l’idée d’unité dans la diversité linguistique. En dépit des défis, l’Érythrée a su préserver et valoriser ses langues, offrant un modèle unique de coexistence linguistique en Afrique.